Rien Que Du Bruit #46
Aujourd'hui, on plante, on brûle, on vole et on détourne : bref, on créé !
On gagnerait à envisager la pratique artistique comme une forme de jardinage : vous plantez quelques graines, puis vous observez ce qui se passe entre elles, comment elles prennent vie et comment elles interagissent. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de plan du tout, mais que le processus de fabrication est un processus où vous interagissez avec l’objet et le laissez définir le rythme. Cette approche est parfois appelée « procédurale ». Je l’appelle « générative ».
– Brian Eno
J’ai toujours eu de l’estime pour les artistes touche-à-tout. Virgil Abloh, « créateur américain pluridisciplinaire aux intérêts multiples » comme l’écrit à propos Wikipédia, est mort le mois dernier. Architecte de formation, D.J., proche collaborateur de Kanye West, créateur de plusieurs marques de streetwear, en 2018, il était recruté comme directeur artistique par LVMH. Pour le New York Times, M. Abloh a transformé non seulement ce que les consommateurs voulaient porter, reliant la culture hypebeast et le monde du luxe, mais aussi ce que les marques attendaient d’un designer — et le sens de la « mode » elle-même.
À ceux qui venaient lui demander conseil, il leur recommandait de concevoir des « codes de triche ». L’un de ceux qu’il revendiquait utiliser était « l’approche des trois pour cent », l’idée que l’on pourrait créer un nouveau design en modifiant un original de trois pour cent. Quelque part entre Duchamp et Warhol, en définitive !
Les artistes, tous voleurs ? « Le poète est voleur de feu », écrivait Rimbaud dans sa fameuse lettre à Paul Demeny. « Il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant ! »
Bref, si l’on doit voler, volons en artistes, en suivant les conseils d’Austin Kleon : rendre hommage plutôt que dénaturer, étudier plutôt que survoler, s’inspirer de plusieurs plutôt que d’un seul, créditer et non plagier, transformer au lieu d’imiter, remixer plutôt que piller.
Après avoir hésité, j’ai fini par acheter le coffret Springtime in New York, le volume 16 de la série des bootlegs de Bob Dylan, qui couvre les années 1980 à 1985.
Si ça n’est pas sa période la plus féconde, force est de constater que les chansons, débarrassées des arrangements douteux des années 80 gagnent sacrément en force. Les inédits, les prises alternatives mettent en lumière la puissance d’écriture intacte de l’auteur.
Dylan, comme a pu l’écrire Amanda Petrusich à son propos, est « Un homme à la recherche d’une voie à suivre. » On dit « a way forward », en anglais, ce qui peut aussi s’entendre comme chercher à aller de l’avant.
Dylan se cogne peut-être parfois aux murs, mais il avance toujours et trace sa route.
Moi aussi, je cherche, je creuse et ce que j’extrais n’est pas toujours ce à quoi je m’attendais. Pourquoi la musique est-elle aussi présente dans mes textes ? Pourquoi cette touche de fantastique qui apparaît parfois ? Je ne sais pas. Je continue de chercher.
Une autre chose qui ressort chez Dylan et que je lui envie, c’est ce sentiment d’urgence qui prévaut à chacun de ses enregistrements. Les chansons s’écrivent vite, l’auteur est toujours en mouvement, et l’enregistrement se fait plus vite encore, dans les conditions du live, en 3 ou 5 jours parfois. Quitte à y revenir plus tard, quitte à laisser sur le côté ce qui frôle le chef d’œuvre absolu.
En tout cas, Dylan m’a redonné l’envie d’enregistrer mes textes, de les mettre en « son », sinon en musique. J’ai ressorti mon chevalet et mon microphone, installé le logiciel Audacity sur mon MacBook, et j’ai enregistré la voix d’un premier morceau. Quelques ajustements sur la prise, et je l’ai importée dans GarageBand. C’est là où ça coince, évidemment. Je me perds à essayer des trucs, alors que je ne maîtrise pas le logiciel. Mais c’est tout de même motivant.
En fait, j’aimerais retravailler avec mon ami Patrick sur ces morceaux, mais lui est parti sur autre chose (j’ai toujours eu de l’estime pour les artistes touche-à-tout, disais-je. Parfois, je m’en mords les doigts !).
Bientôt, je vous parlerai de mon livre qui sort en mars 2022 aux éditions Asphalte. En attendant, et comme Noël approche, vous pouvez offrir (ou vous offrir) le HS Demain de la revue La Piscine. Et s’il vous reste de la place au pied du sapin, mon livre L’appel de Londres, paru aux éditions publie.net, ou tout autres livres publié par cette estimable maison. Celui de Daniel Bourrion, par exemple. Ou le beau recueil de Fred Griot. Beaucoup d’autres encore.
Enfin, et puisqu’on parle de Noël, un cadeau :
Ensemble, chantons et levons nos verres aux amis, aux artistes, aux voleurs, aux poètes et aux jardiniers qui rendent ce monde supportable. A wonderful world, indeed !
Rendez-vous en 2022 !