Rien que du bruit

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Rien Que Du Bruit #49

castelneau.substack.com

Rien Que Du Bruit #49

Aujourd’hui : Un carnet de voyage : « le journal de Valparaiso », ou comment j’ai écrit Motel Valparaiso.

Philippe Castelneau
Mar 1, 2022
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Rien Que Du Bruit #49

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J’ai écrit cette lettre il y a plusieurs jours, avant qu’un paranoïaque mégalomane décide de nous rappeler de la manière la plus brutale qui soit combien la démocratie et la paix sont tout à la fois précieuses et fragiles.

À titre personnel, passé l’effet de sidération, j’évite du mieux que je peux les flux d’informations en continu. Je m’astreins chaque matin à quelques minutes de méditation guidée. Résilience. Apaisement. Détermination. Dans la journée, quand c’est possible, je marche. Je lis. Ça aide, vraiment. J’espère que vous allez tous bien. Prenons soin les uns des autres, et ne lâchons rien de nos valeurs.


Une infolettre un peu différente cette fois. En effet, j’ai décidé de vous emmener en voyage avec moi, sur les routes et détours qui m’ont conduit jusqu’au Motel Valparaiso, mon roman qui sort le 3 mars aux éditions Asphalte.

Comment naît un livre ? Parfois, il naît d’un sentiment, d’une impression, d’un souvenir enfoui qui ressurgit :

Une vision floue à la fenêtre

J’avais 12 ans, c’était un après-midi, je m’ennuyais ferme dans un train reliant Paris à sa banlieue, j’observais le triste paysage des dos d’immeubles longeant la voie ferrée. Le soleil a tapé sur une fenêtre, attirant mon regard et l’espace d’un instant, j’ai aperçu les jambes nues d’une femme ajustant ses bas. On imagine l’effet produit sur un garçon en proie aux premières affres adolescentes. De cette femme, je n’ai réellement rien vu, sinon une silhouette, un mouvement. Mais de cette expérience, j’ai gardé le goût de ce qui est suggéré plutôt que montré ; j’ai depuis toujours préféré l’esquisse au tableau, l’image floue à la photo posée, la promesse des possibles plutôt que leurs réalisations ; j’ai toujours préféré les marges, l’ambiguïté, le clair-obscur à la lumière crue.

Cette vision fugace, je ne l’ai jamais tout à fait oubliée, et elle a présidé à la genèse du livre. À présent que j’avais l’élément déclencheur, il me fallait désormais un cadre :

La nuit américaine

La grande nuit américaine ne cesse de se refermer sur nous, toujours plus sombre, plus rouge ; on n’est chez soi nulle part. — Jack Kerouac

À 17 ans, je passais une année complète à Topeka, Kansas, aux États-Unis. Ça aurait pu être ailleurs, n’importe où sur le globe, dans n’importe quel autre pays, n’importe quelle autre culture et n’importe quelle autre langue : le choc aurait sans doute été le même, un ébranlement de toutes les certitudes, l’ouverture de portes sur le monde, tous les possibles, soudain à portée de main.

Ça aurait pu être ailleurs, n’importe où, mais pas à un autre moment : à 17 ans, j’étais une page vierge sur laquelle je me sentais libre de tracer une carte, dessinant à grands traits les routes possibles de ma vie future — naïf peut-être, ignorant encore tout des chemins de traverse. Je plantais là, au cœur du Nouveau Monde, mon axis mundi, point de passage entre le réel et le rêvé, le lieu non pas idéal, mais où prit forme un idéal. Mon lieu totem d’où partaient toutes les pistes qui reliaient tous les points du globe, éternelle invitation au voyage.

Mais en y revenant, je me perdais sans cesse. À 17 ans, j’étais un brouillon sur lequel j’écrivais mes obsessions futures. J’avais tracé une carte, et oublié d’y inscrire mes points cardinaux : sans boussole, il me fallait tout reprendre, tout parcourir, citoyen du monde, en mouvement et sans domicile fixe, explorant de nouveaux lieux, repassant par des routes mille fois traversées, cherchant à faire sens, à épuiser le réel pour retrouver le chemin d’un rêve. C’est à moment que c’est fixé le désir d’écrire.

Taches d’huile sur le bitume, odeurs mêlées d’essence et de pins

Enseignes des motels et des liquors stores

Le lent ballet des voitures, samedi soir sur Kansas Avenue.

Votre serviteur, à 17 ans, Downtown Topeka

La grande traversée

Échoué à mille miles de chez moi / Sur la route que d’autres ont prise avant moi / Je vois ton univers de gens et de choses / Tes paysans, tes princes et tes rois — Bob Dylan

1685 miles. Nous étions partis de Santa Monica juste avant l’aube, le 26 décembre. C’était un jeudi. Nous nous sommes arrêtés quelques minutes le long de la plage et j’ai couru jusqu’à l’océan. Je suis resté un moment à regarder le jour se lever sur l’horizon, l’eau fraîche sur mes pieds nus. Puis j’ai rejoint la Buick, une Skylark de 72, et nous avons roulé jusqu’à Barstow. Los Angeles semble ne jamais finir quand on veut la quitter, la voiture avale les kilomètres d’autoroute et la ville est toujours là, qui défile devant mes yeux scotchés à la vitre arrière, mais tout à coup c’est le désert, et Barstow, enfin. Une nuit sur place, on repartira demain pour Phoenix.

Je me souviens vaguement de Barstow, une brocante où un ami m’emmène avec lui chiner des livres, un ventilateur qui tourne, la chaleur écrasante. Au petit déjeuner, un bol de Cherrios avalé dans la cuisine, la télé allumée en sourdine.

De Phoenix, je me souviens de la maison immense et de la piscine donnant sur le désert. Cette nuit-là, j’ai marché plusieurs centaines de mètres droit devant moi. J’étais seul. J’avais laissé derrière moi les éclaboussures de l’eau, les éclats de voix, les rires, la fête. Je me suis assis et j’ai attendu. J’ai fermé mes paupières. J’avais quitté le monde réel, et je quittais mon corps. L’univers se révélait à moi, j’en percevais, sans les comprendre, tous les mystères.

Enfin, je me levais. La maison, derrière, n’était plus qu’une tache lumineuse. Le désert m’attirait comme un aimant. J’allais m’y perdre, comme on se perd en mer. J’ai fait un pas, deux, m’enfonçant plus avant. Je m’arrêtais, regardais autour de moi. Il n’y avait plus que la nuit qui m’enveloppait dans son tapis d’étoiles. Pris de vertige, j’étais sur le point de perdre tous mes repères. La peur m’a serré le cœur. J’ai fait demi-tour, retrouvant à tâtons le chemin de la maison. Les rires, la fête. La vie des hommes.

Une nuit encore, et nous sommes repartis.

Quand on voyage en train et que le train va vite, les poteaux se courbent. Dans le désert, c’est le temps qui fléchit. Le moteur à beau rugir, les roues tournent et s’usent, mais le décor reste figé, il n’y a pas d’ombre pour lever la monotonie et l’horizon est un mirage inatteignable. La route défilait en vain derrière le rectangle de ma fenêtre. J’étais calé à l’arrière de la Buick. Le corps tantôt droit, tantôt avachi. Endormi, roulé en boule, les écouteurs sur les oreilles. Il y eut d’autres arrêts dont je ne me souviens pas.

Enfin, j’ouvris les yeux et la neige avait tout envahi. Profitant d’un arrêt, je me précipitais dehors, le froid vif me saisit. Je marchais un moment dans la neige, comme j’avais marché la veille dans le désert, l’avant-veille le long d’un océan. Courant bientôt comme un chiot émerveillé par la vie qui s’ouvre devant lui. Deux jours, 1685 miles traversés. Deux fuseaux horaires. Un demi-continent.

D’après photo : moi encore, dans la neige en plein cœur du Kansas

Motel Valparaiso

Je suis retourné souvent en Amérique, sillonnant le pays en tous sens, et j’ai noirci des dizaines de carnets de notes prises sur le vif. J’ai longtemps tourné autour d’un projet de livre qui serait en quelque sorte mon « grand roman américain ». J’ai écrit de nombreuses pages en ce sens, plusieurs nouvelles, sans parvenir à trouver la forme qui me convenait. Puis, d’un atelier d’écriture mené par François Bon, sont sortis deux textes, l’un qui avait le désert de Sonora comme sujet, l’autre une tentative d’épuisement d’un bout de territoire d’une ville américaine.

Un atelier d’écriture ne fait pas un livre, mais celui-ci m’a donné les clés de mon futur roman. J’ai repris mes carnets, recopié mes notes et relu tous mes textes. J’ai construit un premier récit, sorte de cut-up, un empilement de la matière accumulée au fil des années. Puis j’ai repris, taillé, coupé, tordu les mots et les phrases, ouvrant grand les portes à la fiction. Du matériau de base, il ne reste rien ou presque, sinon les fondations sur lesquelles j’ai bâti une ville imaginaire, un motel à l’orée du désert ; un livre qui sort ces jours-ci sous le titre Motel Valparaiso, aux éditions Asphalte.

Asphalte est une maison d’édition fondée en 2010 par Estelle Durand et Claire Duvivier. Une maison portée avant tout par un esprit, fait de voyages, de découvertes et de risques.

De quoi ça parle ?

Suite à une rupture amoureuse, un homme décide de quitter sa vie en France et part pour les États-Unis réaliser le road-trip qui redonnera un sens à son existence. Alors qu’il traverse en car une ville inconnue dans le désert de Sonora, il va apercevoir une femme qui semble lui faire signe, à une fenêtre. Happé par cette vision, il décide sur un coup de tête de poser là ses valises.

Installé au Motel Valparaiso, il entreprend d’explorer Cevola, cette localité écrasée par la chaleur qui semble avoir connu mille vies au cours de l’histoire. D’abord fasciné, puis inspiré, il prendra conscience que la ville semble avoir une emprise sur ceux qui y vivent…

Motel Valparaiso est un rêve éveillé nourri d’American way of life et de grands espaces, un premier roman sur lequel plane « une voix de sable mêlée de vent ».

Acheter ou réserver le livre en ligne

En guise d’avant-goût, la bande annonce :


Il y a un côté nouvelle vague, nouveau roman, un brin de Modiano dans la musique, de David Lynch, avec la même instabilité dans le réel. Un texte comme un rêve, ancré dans la matière, mais avec l’impression de survoler la vie. Des dialogues brefs, qui suffisent à tout dire. — Thierry Crouzet

L'auteur nous parachute en plein désert américain, dans une bourgade aux allures de mirage. Il parvient à dresser son décor et instiguer une atmosphère avec une impressionnante économie de détails. Quelques mots et on y est. (...)Ses personnages puisent leur consistance dans des références à la frontière entre Lynch et Hitchcock. une écriture cinématographique, un texte à l'imagerie vaporeuse. (...) La seule chose certaine tient dans le fait que ce roman est une petite pépite qui se lit d'une traite et court-circuite l'espace-temps. — Loïc Desroches (Librairie la case des Pins)


Si tout ce qui précède vous a séduit, intrigué, il ne vous reste plus qu’à pousser la porte de votre librairie préférée : Motel Valparaiso vous y attend dès jeudi !

Et pour ceux d’entre-vous qui sont à Montpellier le vendredi 11 mars, la librairie Sauramps, place de la Comédie, organise une rencontre à partir de 18h.


Et c’est tout pour aujourd’hui. Rendez-vous dans un mois ici même.

En attendant, ne lâchez rien : lisez, méditez, marchez, dansez, chantez, sortez retrouver vos amis, quoi que ce soit qui vous semble fonctionner.

Prenez soin de vous et de vos proches. La formule est peut-être parfois galvaudée, mais je crois que nous avons tous besoin d’un peu de considération, de tendresse et d’amour.

Si vous appréciez cette infolettre, faites-la suivre à vos amis, ou envoyez-les sur castelneau.substack.com afin qu’ils puissent également s’y inscrire.

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