Rien Que Du Bruit #53
Aujourd'hui, on parle artisanat et technicité, appareil photo et mégaphone !
« L’écriture est aussi un artisanat » : la dernière fois, je vous disais en quoi cette formule me semblait juste. Je parlais concentration, heures de travail et assemblage de textes.
Depuis, j’ai été saisi par une pensée qui m’a beaucoup fait réfléchir : « nous étions des artisans ; nous sommes devenus des techniciens. »
Je m’explique. Parti pour quelques jours à Menton fin juin, j’en ai profité pour ressortir mon appareil photo. À presque 10 ans, il est, d’un point de vue technique, largement dépassé. Pourtant, j’ai avec lui un lien — j’allais dire affectif, et si le mot est un peu fort, il n’est pas complètement usurpé.
J’ai alors repensé au Leica M4 de Garry Winogrand. Il y a quelques années, sont apparues en ligne des photos de cet appareil, et c’était quelque chose à voir. Winogrand ne ménageait pas son instrument : cabossé, le revêtement déchiré par endroit, jusqu’au laiton, qui a gardé la trace du pouce et de l’index du photographe. Mais le Leica a tenu bon de longues années. L’appareil était solide, fiable, fait pour durer.
Aujourd’hui, les instruments dont nous avons besoin pour créer, appareils photo, ordinateurs, palettes graphiques sont vite dépassés, rendus obsolètes par les innovations technologiques.
La technique, c’est une chose, mais ce qui me chagrine, c’est de constater combien elle nous a fait perdre ce lien que nous avions à l’outil, devenu machine, ravalé à sa seule fonction d’objet utilitaire. J’idéalise sans doute. Pour moi cependant, le Leica de Garry Winogrand a une histoire, peut-être même une âme.
Dans un des épisodes du podcast Bookmakers dont je vous parlais le mois dernier, Dany Laferrière évoque en passant sa Remington 22, avec laquelle il a écrit ses dix premiers romans. En l’écoutant, je me suis dit : « moi aussi, j’ai ma Remington : mon MacBook, acheté en 2017 ». C’est avec lui que j’ai écrit Motel Valparaiso. J’ai tissé un lien avec mon ordinateur, un lien affectif. Comme les écrivains autrefois avec leurs machines à écrire, comme Garry Winogrand avec son LEICA.
C’est la faiblesse ultime du numérique : l’obsolescence rapide des machines et des techniques. Un LEICA mécanique, une Remington, pouvaient durer des dizaines d’années sans rien perdre de leur puissance initiale, gagnant au contraire le charme de la patine.
Journal d’un écrivain en pyjama de Danny Laferrière, est un recueil de courts fragments qui alternent entre fictions, souvenirs et réflexions. Laferrière s’interroge ici sur son rapport à la lecture, à l’écriture, et donne quelques conseils aux jeunes auteurs. Dans un passage intitulé l’artisan, il évoque la méthode de travail de Woody Allen :
J’ai vu un documentaire sur Woody Allen. Il y a une scène où il raconte sa méthode de travail. Dès qu'il a une idée, il la note sur un morceau de papier qu'il jette dans un tiroir ou une boîte à chaussures, je ne sais plus. Chaque fois qu'il se cherche une idée de film, il éparpille son trésor sur le lit. Son visage s'illumine, comme un gamin qui retrouve sa bille préférée: quand il tombe sur une bonne idée. On s'étonne qu'il ait pu garder cette méthode artisanale, et cela malgré la célébrité et toutes ces technologies qui sont, aujourd'hui, à la portée de n'importe qui. Il écrit encore sur sa première machine à écrire portative prouvant ainsi qu'il n'a besoin que de son imagination dans cette affaire […]. L’argument pour la machine est toujours le même : cela nous permet d’aller plus vite, mais est-ce, ici, une bonne affaire d’aller plus vite ? On peut utiliser toutes les technologies disponibles, et ce serait bête de ne pas le faire, du moment qu’on n’oublie pas que la main est le plus ancien et le plus fiable outil mis à notre disposition.
Dans ma précédente lettre, je vous proposais une petite enquête, dont voici le résultat :
Quelques uns d’entre vous se sont prêtés au jeu. Évidemment, on ne peut guère tirer de conclusion d’un sondage aussi restreint, mais tout de même, et c’est intéressant, vous êtes plusieurs à travailler sur smartphone directement. La personne qui a mentionné Novelist précise : “J’aime beaucoup cette application qui fonctionne un peu comme Scrivener, mais en plus compact et portatif, idéal en mode nomade sur tablette combiné avec Dropbox”.
En définitive le smartphone tend à prendre la place du carnet de notes glissé dans la poche, et pour un nombre croissant de personnes, la tablette remplace l’ordinateur.
Les ateliers
Souvenez-vous, il y a deux mois, je demandais à Roxane Lecomte de nous ouvrir les portes de son atelier.
Aujourd’hui, c’est Dimitri Régnier qui s’y colle. “Producteur d’émotions”, comme il le dit joliment, il fait des podcasts, une newsletter et un blog, où il partage réflexions, découvertes et microfictions.
Voilà plusieurs années que je suis Dimitri, et je reste admiratif, tant de la qualité de son travail que de sa générosité. Producteur de podcasts et formateur audio, Dimitri est aussi un passeur : sa newsletter, deux dimanches par mois, est un exemple de concision (un exemple que je m’efforce de suivre !), et un espace de découverte pour qui s’intéresse à la création en marge des sentiers battus.
Mais assez parlé, je lui passe le micro 🎤 !
Lorsqu'on m'a demandé une photo de moi en situation, je n'en ai pas trouvé. Alors, j'ai pris celle-ci avec le retardateur de mon téléphone.
Cet autoportrait résume assez bien ma démarche. Dans mon sac, il y a deux stylos à plume et un Moleskine dans lequel je consigne des dizaines de questions. À ma ceinture, on voit un Zoom F6, un enregistreur portable qui me suit partout. Je l'utilise pour des interviews "sauvages" ou du field recording. C'est mon outil principal.
Dans la main, je tiens un Sennheiser MD21 que j'ai acquis sur leboncoin auprès d'un ancien journalise d'Europe 1. J'adore le son de ce micro. Il raconte l'histoire de la radio à lui tout seul. Je l'associe souvent à un tout petit Tascam DR10-X pour enregistrer ce que j'appelle des marche/parlé, de l'audioblogging en extérieur.
Pour finir, autour du cou on voit un Sennheiser HD25, un casque audio tout terrain. Il dit tout mon amour pour le beau son car il m'a été conseillé par Mehdi Ahoudig, réalisateur qui m'a dit un jour : "Tu écris avec ton micro". Je suis ce conseil tous les jours.
Je m'appelle Dimitri Régnier, j'ai cinquante ans. J'aime faire parler les gens. Je raconte des histoires avec leurs mots dans Le Mégaphone, le podcast qui parle avec le cœur.
Vous pouvez aussi acheter mon roman, Motel Valparaiso !
Sur mon site, des articles :
L’éphémère, l’écrit et la distance : quelques mots à propos de George Orwell et de Pierre Torreilles.
La note bleue : un cliché, et le plaisir de photographier en ville la nuit.
David Mitchell — Utopia Avenue (L’Olivier) : Entre récit d’apprentissage et conte fantastique, un étonnant roman de 750 pages évoqué en seulement 750 signes !
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui ! Portez-vous bien, et rendez-vous dans un mois !