Rien Que Du Bruit #57
Aujourd'hui : Tomb of Dracula, un conte fantastique, bref : Halloween ! đ»đ
Il nâest pas de passion plus contagieuse comme celle de la peur. â Michel de Montaigne.
Ok, ok, Halloween⊠Je vous entends soupirer, hein !
Câest peut-ĂȘtre parce que je suis nĂ© en octobre que jâai un faible pour lâautomne et les fĂȘtes de fin dâannĂ©e. Et si jâaime particuliĂšrement All Hallows' Eve, ce nâest Ă©videmment pas pour son aspect hyper commercial, mais pour son cĂŽtĂ© transgressif sous-jacent, qui tient dans la perpĂ©tuation dâune cĂ©lĂ©bration paĂŻenne, la fĂȘte de Samain, qui Ă©tait, nous apprend Wikipedia, la pĂ©riode oĂč les barriĂšres sont baissĂ©es et oĂč, selon les croyances de l'Ă©poque, l'irrĂ©el cĂŽtoie le rĂ©el et oĂč les hommes peuvent communiquer avec les gens de l'autre monde.
Et si on se dĂ©guise le soir du 31 octobre, ça nâest pas, rappelons-le, pour faire sursauter ses voisins, mais pour effrayer les fantĂŽmes !
Transgressif, et sans doute un peu rĂ©gressif en ce qui me concerne : câest le moment oĂč jâai envie de revoir LâĂ©trange NoĂ«l de Monsieur Jack, Le bal des vampires, dâautres films encore, moins avouables ; oĂč je me replonge dans mes vieux comics, des reprints dâEC Comics, les Batman de Doug Moench (scĂ©nario) et Kelley Jones (dessins), la sĂ©rie Nocturnals de Dan Brereton, et ma prĂ©fĂ©rĂ©e, peut-ĂȘtre : Tomb of Dracula, Ă©crite par Marc Wolfman et illustrĂ©e par Gene Colan.
Si vous ne connaissez pas, ou mal, ce dernier, je vous invite à jeter un oeil à cette vidéo (en anglais) :
Ainsi, chaque annĂ©e, Ă cette pĂ©riode, je vous propose un conte dâHalloween. mais aujourdâhui, il sâagit dâune histoire un peu spĂ©ciale.
Ceux dâentre vous qui ont lu mon roman Motel Valparaiso savent quâil y est question dâune lĂ©gende amĂ©rindienne, Ă lâorigine dâune malĂ©diction qui pĂšserait sur la ville de Cevola, oĂč se dĂ©roule lâaction du livre.
Cette lĂ©gende est souvent Ă©voquĂ©e par les protagonistes, mais elle nâest jamais complĂštement dĂ©voilĂ©e. Elle existe pourtant : je lâavais Ă©crite, au moment du premier jet du livre, en mâinspirant de nombreux rĂ©cits mythologiques.
Ce texte, le voici : la terrible et triste histoire de la déesse Sedna !
Sedna est la dĂ©esse des Ă©tendues dĂ©sertique, la reine du monde cachĂ©, qui gouverne sur ceux-qui-sont-dessousâ; les morts-vivants, les maudits et les exilĂ©s. Elle nâa quâun seul Ćil, pas de doigts et un corps difforme, mais ce nâest jamais ainsi quâelle apparait aux hommes. Lorsque par malheur ils croisent sa route, elle a le visage changeant de leurs dĂ©sirs. Sa couleur de peau, ses cheveux, sa morphologie sâadaptent au regard qui se porte sur elle, et lâeffet est toujours le mĂȘme : cela peut prendre plusieurs jours, parfois des annĂ©es, mais les hommes finissent par tout quitter pour venir la retrouver. Ils reviendront se perdre aux portes du dĂ©sert, scrutant les ombres Ă sa recherche, obsĂ©dĂ©s par lâimage furtive qui sâest gravĂ©e sur leur rĂ©tine.
Elle leur apparaitra chaque nuit en rĂȘve, et peu Ă peu ils pourront reconstituer mentalement chaque dĂ©tail de sa silhouetteâ; sa peau, grain par grain, chaque nuance de couleurs, le moindre Ă©clat de lumiĂšre perçu ce jour-lĂ , ils sauront le dĂ©crire. Mais lorsquâenfin lâimage sera nette, les contours de son corps si parfaitement connus quâils auront la sensation de pouvoir le toucher, et elle disparaitra tout Ă coup. Il ne leur restera rienâ; leur quĂȘte, quâils croyaient mystique, Ă©tait une errance sans but, minĂ©e par le dĂ©sespoir. Alors, ils sâĂ©vanouiront Ă leur tour, rejoignant les ombres, la cohorte de ceux-qui-sont-dessous.
Autrefois, dit la lĂ©gende, en des temps lointains aujourdâhui oubliĂ©s, Sedna Ă©tait une belle jeune fille. Elle ne sâest pas toujours appelĂ©e ainsi. Les Espagnols, par exemple, lui donnaient le nom dâun phĂ©nomĂšne qui dâordinaire nâapparait que dans les pays froids, au-dessus des mers glacĂ©es : la Fata Morgana. Sedna avait fait le vĆu de rester auprĂšs de son vieux pĂšre qui Ă©tait veuf, et dont elle Ă©tait la seule descendance. Ses prĂ©tendants Ă©taient nombreux, mais elle les repoussait tous. Un jour toutefois, alors quâelle sâĂ©tait Ă©loignĂ©e du campement, un homme mystĂ©rieux et dâune beautĂ© extravagante sâest prĂ©sentĂ© Ă elle. LâĂ©tranger ne parlait pas sa langue ; elle le comprenait pareillement. Surtout, il Ă©tait intelligent, sĂ©duisant, et incroyablement riche. Elle le revit chaque jour, et il lui offrait chaque jour des prĂ©sents, de lâor et des parures. Du tabac et des alcools pour son pĂšre. Ă elle, il donnait des huiles et des onguents. Il lui fournissait tout en abondance. En Ă©change de quoi, un matin, il lui demanda de devenir sa femme et de partir avec lui. Elle nâa pas su dire non, et son mariage nâa pas Ă©tĂ© heureux. Sedna adorait son mari, mais il Ă©tait possĂ©dĂ© par lâesprit dâun oiseau malĂ©fique. Tu nâes pas lâhomme que jâai choisi comme Ă©poux, lui disait-elle souvent, et il ne disait rien.
De son cĂŽtĂ©, son pĂšre vivait dans lâangoisse, et les richesses quâon lui avait laissĂ©es lui importaient peu. Il ne pouvait pas ĂȘtre sans sa fille. Il entreprit dâaller la retrouver. Seul, il traversa les terres au mĂ©pris du danger. Il se perdit mille fois, mais fini par rejoindre Sedna Ă lâorĂ©e du dĂ©sert. Il la trouva malheureuse, en proie au dĂ©sespoir. Il la convainquit de quitter son Ă©poux et lâaida Ă faire ses bagages. Ils sâapprĂȘtaient Ă partir lorsque le mari rentra. Une dispute violente sâen suivit, et lâesprit qui possĂ©dait lâhomme sorti de son corps, lâoiseau malĂ©fique pris son envol et sâabattit sur le pĂšre et sa fille. Les coups de bec et de griffes labouraient leurs chairs, et lâanimal devenait de plus en plus grand, jusquâĂ obscurcir le ciel. Une tempĂȘte se leva qui les fit chanceler. Folle de rage, Sedna sâarracha le cĆur Ă mains nues et le jeta Ă terre. Son sang rida le sable, avant de se mĂȘler aux nappes dâeau souterraines. Son cĆur mort Ă ses pieds, son mari ne pouvait plus le lui reprendre. Elle ramassa une pierre noire quâelle dĂ©posa dans sa poitrine, et la pierre se mit Ă battre lourdement. Un voile sombre passa sur son visage : le fiel avait remplacĂ© le sang.
Le pĂšre, terrifiĂ©, croyant la fin du monde arrivĂ©e, lĂącha la main de sa fille pour se perdre dans le dĂ©sert. Lâoiseau se prĂ©cipita dâabord sur Sedna pour se venger, et lui arracha les doigts et voulut de son bec lui crever les deux yeux, mais voyant le pĂšre sâenfuir, il se jeta sur lui et dĂ©chiqueta son corps. Lorsquâil eut fini, le ciel se dĂ©gagea et lâoiseau disparut, laissant Sedna infirme et borgne. Les restes Ă©parpillĂ©s du pĂšre se transformĂšrent en virevoltants, boules errantes de tiges ramifiĂ©es quâon appelle aussi plantes de la rĂ©surrection : leurs feuilles dessĂ©chĂ©es reverdissent au contact de lâeau quâelles puisent sous le sable.
Bien des annĂ©es se sont Ă©coulĂ©es. Des hommes sont morts, dâautres sont nĂ©s et morts Ă leur tour. Sedna est toujours lĂ , qui se tient Ă la lisiĂšre du dĂ©sert. Beaucoup viennent ici sans mĂȘme la remarquer, mais pour peu quâun homme passe qui porte en son cĆur un manque comme une enclume, sâimaginant voir en lui son Ă©poux, elle tracera un sceau sur son front pour lui laisser croire quâil peut coiffer ses cheveux sombres et caresser son corpsâ; lâentrainant Ă sa suite, elle le poussera Ă se perdre en son royaume, dans les rĂ©gions infĂ©rieures du domaine des dieux, aux confins des mondes connus, dâoĂč personne nâest jamais revenu.
Ainsi, ayant rejoint la cohorte des maudits, il errera, hagard et sans but, jusquâĂ la fin des temps.

Cette histoire vous a plu ? Vous aimerez sans doute Motel Valparaiso !
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Câest tout pour cette fois ! Prenez soin de vous, et, souvenez-vous : âles monstres existent vraiment, les fantĂŽmes aussi... ils vivent en nous, et parfois ils gagnent.â (Stephen King).