Je ne sais pas vous, moi je tourne un peu en rond ces temps-ci. Par exemple, j’ai du mal à écrire. Les idées se bousculent, je les note en vrac, mais au moment de mettre tout ça en forme, je suis sec, vidé de toute énergie. J’écris tout de même. Seul chaque matin, avant le lever du jour, dans le bureau face à l’écran de mon ordinateur. Parfois, c’est deux heures pour une phrase, un simple paragraphe.
Comme j’ai un plan assez clair de là où je veux aller, je mesure le chemin encore à parcourir. Il est long. C’est, sous un ciel d’orage, sur un sentier escarpé que j’avance.
Je sais pourquoi j’écris, même si ça fait mal. Il faut lire Marguerite Duras :
Écrire, c’était ça la seule chose qui peuplait ma vie et qui l’enchantait. Je l’ai fait. L’écriture ne m’a jamais quittée.
Quand je me relis, ça va. Parfois même, je me dis que ça n’est pas si mal. « C’est pas dégeu ! » aurait dit Gainsbourg. Dans ces moments-là, on voudrait partager, mais il ne faut pas. On écrit seul, et on reste seul longtemps avec son livre. Duras encore :
La solitude de l’écriture c’est une solitude sans quoi l’écrit ne se produit pas, ou il s’émiette exsangue de chercher quoi écrire encore. Perd son sang, il n’est plus reconnu par l’auteur. Et avant tout il faut que jamais il ne soit dicté à quelque secrétaire, si habile soit-elle, et jamais à ce stade-là donné à lire à un éditeur. (M. Duras — Écrire)
Walter Benjamin ne disait pas autre chose :
Parle si tu veux de ce qui est terminé, mais au cours du travail n’en lis aucun passage à autrui. Toute satisfaction que tu te donnes ainsi ralentit ton rythme. En suivant ce régime le désir sans cesse croissant de communiquer finira par devenir un mobile pour achever l’œuvre. (W. Benjamin — Sens unique)
Alors, oui, mon livre avance. Je vous remercie de poser la question. Certains matins, c’est ça :
D’autres jours, hmmm… plutôt ça ?
Grâce à une enquête menée par le Washington Post auprès de ses lecteurs, je sais au moins ce que le plus grand nombre déteste trouver dans un livre :
Les rêves sont l’une des principales sources d’irritation, avec les anachronismes historiques et les inexactitudes factuelles.
À juste titre, les fautes de frappe et les erreurs grammaticales exaspèrent particulièrement les lecteurs à l’œil aiguisé. De même, la seule chose qu’ils trouvent plus exaspérante que les passages étrangers non traduits, ce sont les phrases étrangères contenant des fautes.
Les longs passages en italique sont a priori tout aussi insupportables. Les formules toutes faites, les métaphores usées, sont des repoussoirs inexcusables : « Si nous nous mordions les lèvres avec la régularité effrayante des personnages de fiction, nos bouches seraient dans un triste état ». De même, qui dans la vraie vie se pince l’arête du nez pour exprimer sa frustration ?
Ne parlons pas des clichés sexistes — ces femmes intelligentes qui se transforment en idiotes bavardes à cause d’un homme, ou les descriptions de femmes aguichantes dans des situations peu sexy (comme une scientifique au travail dans un laboratoire) —, ou encore des scènes gratuites (sexe, violence, descriptions interminables, etc.) qui semblent n’être là que pour alourdir le livre.
D’ailleurs, les livres longs ne trouvent pas souvent grâce aux yeux des abonnés du Washington Post. Une lectrice fait justement remarquer : « Seul J.M. Coetzee semble penser qu’un livre important peut faire moins de 300 pages », ce qui n’est pas faux.
Si les récits ne doivent pas forcément être tous linéaires, les structures volontairement alambiquées rebutent les lecteurs, au même titre que les enfants (ou les animaux) qui pensent et s’expriment comme des adultes.
La manière d’écrire les dialogues est aussi un vaste sujet de mécontentement. Cormac McCarthy, qui a réglé le problème une bonne fois pour toutes en supprimant tiret et guillemets, en prend pour son grade (d’autant qu’il est aussi un habitué des passages en italiques !).
À ce propos, je vous conseille vivement le chapitre que consacre Sophie Divry à l’écriture des dialogues dans son livre dont je vous parlais déjà la dernière fois, Rouvrir le roman.
Et puisqu’on parle de lui, je vous conseille également la lecture du dernier McCarthy, Le passager. Sacrée claque !
(Et Les éclats, de Bret Easton Ellis dans un tout autre genre, n’est pas mal non plus !)
Une fois tout cela intégré, rien de tel qu’une contrainte pour avancer ! Et il n’est pas de pire meilleure contrainte qu’une échéance. C’est sur ce concept que c’est créé à Tokyo le Manuscript Writing Cafe !
Les gérants de cet espace de co-working situé dans le quartier de Koenji ont eu l’idée amusante de dédier le lieu à cette activité, aux heures les plus creuses de la semaine.
Comme pour le Fight Club, il y a des règles à respecter :
1. En entrant, vous devrez remplir une fiche précisant le nombre de mots à écrire, et le temps dont vous disposez pour le faire.
2. Le gérant vous demandera toutes les heures où en est votre manuscrit. À vous de définir à l’avance avec lui si ce contrôle doit être fait avec bienveillance, ou de manière plus brutale !
3. Vous n’êtes pas autorisé à quitter le café tant que vous n’avez pas atteint l’objectif que vous aviez fixé. Gare à vous si vous n’avez pas fini à l’heure de la fermeture : vous vous verrez contraint de passer la nuit sur place ! Veuillez noter qu’il y a un supplément important à payer dans ce cas, précise la direction, sans plus de détail !
Et voilà pour aujourd’hui. Je vous remercie d’avoir pris le temps de me lire, et j’espère vous avoir apporté un peu de motivation !
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Rendez-vous dans un mois ici même : j’aurai la joie d’accueillir pour un entretien mon ami Simon Baril, traducteur et romancier. D’ici là, prenez soin de vous, mais n’abusez pas des chocolats !