Rien Que Du Bruit #64
Aujourd'hui : je retrouve Simon Baril pour la suite de notre entretien, à l'occasion de la sortie toute proche de son roman Bleu Guitare.
Eh oui ! Une deuxième lettre en moins de 15 jours. L’occasion de retrouver notre ami Simon Baril pour la deuxième partie de notre entretien.
Simon dédicace ce vendredi et ce dimanche à la Comédie du livre, et en avant-première, son roman Bleu guitare. Si vous êtes sur Montpellier, n’hésitez pas à lui rendre visite !
Dans ce numéro :
Une conversation avec Simon Baril (deuxième partie)
Rien que du bruit : la revue du presse
Une conversation avec Simon Baril (deuxième partie) :
Simon, ton roman, Bleu Guitare, paraît le 17 mai aux éditions La Tengo, une maison, m’as-tu dit « dont les goûts en matière de roman noir, musique et ciné correspondent bien à l’univers de ce texte. » Par ailleurs, tu présentes Bleu Guitare comme « un roman qui fait un pas de côté par rapport au genre ».
Es-tu un lecteur de roman noir ? Et plus généralement, quels auteurs sont pour toi des références ou des influences ?
Ma culture « noire », c’est surtout les figures tutélaires : Hammett, Chandler, Cain, Goodis, Thompson, et l’extraordinaire Dorothy B. Hughes dont j’ai eu la chance de retraduire le chef-d’œuvre Un homme dans la brume pour Rivages/noir. Parmi les auteurs plus proches de nous, James Ellroy et Elmore Leonard m’ont marqué. Chez la jeune génération, je suis fier d’être la voix française de William Boyle, qui construit un univers tragicomique épatant. Côté français, j’ai lu tout Manchette et je lis un Simenon de temps à autre. Parmi mes contemporains, j’attirerais l’attention sur Nuit noire de Christophe Siébert — qui est devenu un ami —, un roman d’une puissance rare que l’on trouve dans son recueil Métaphysique de la viande.
En ce qui concerne la littérature générale, j’alterne entre les grands classiques (principalement français, anglo-saxons, russes, italiens et japonais) — pour ne pas trop prendre de risque sur la qualité et la profondeur ! — et des textes moins connus ou plus récents que je sélectionne pour leur thème ou leur style. Fut une époque, je lisais quasi exclusivement en anglais — Dostoïevski, par exemple, je l’ai découvert dans les traductions de Richard Pevear et Larissa Volokhonsky — mais, aujourd’hui, j’aime lire même les Américains en VF, car j’apprends beaucoup du travail de mes consœurs et confrères.
Je lis aussi un peu de poésie, pas autant que j’aimerais car je suis accro aux histoires, aux personnages, et même à la grâce de la prose. Tiens, on n’a pas encore parlé de poésie, toi et moi. C’est un genre que tu lis ? Ce mot a-t-il une place dans ta vie ?
À 25 ans, j’ai découvert Léo Ferré qui m’a retourné la tête et m’a en quelque sorte initié à la poésie. La sienne, mais aussi Aragon, Rimbaud, Apollinaire. Ce goût ne m’a plus quitté, et je lis souvent de la poésie, oui. Christophe Sanchez, dont j’ai parlé plus haut, est un poète contemporain dont j’admire le travail. Emmanuel Laugier, que je croise régulièrement et que j’aime aussi beaucoup.
De la poésie, j’en écris en douce, mais je ne publie pas, sauf pour un recueil que j’ai édité moi-même il y a quelques années. En revanche, j’essaie de nourrir mes textes de poésie, d’en passer en contrebande, en quelque sorte.
En dehors de la littérature, est-ce que la musique et le cinéma comptent aussi pour toi, Simon ?
Je ne peux pas vivre sans musique. C’est comme une drogue ou, si on veut être plus positif, un médicament. Mes goûts sont trop éclectiques pour que je dresse une liste de noms ou même de genres. Je peux écouter des artistes objectivement grandissimes comme Bill Evans ou Serge Gainsbourg, et la pire soupe des années 1980 parce qu’elle me rappelle les sonorités de mon enfance, les sons associés à mes premières émotions.
Un de mes plus grands vices, c’est la Bubblegum Pop, notamment les deux groupes formés par Maurice Starr, les New Kids on the Block et New Edition. Le monde me paraît souvent si froid et si dur que j’ai besoin de ces shoots de douceur, ces mélodies hypersucrées. Mais j’ai aussi mes humeurs Nine Inch Nails, quand une certaine rage me prend.
Pour le cinéma… ça aurait encore moins de sens de citer des noms. Ce qui est sûr, c’est que mon regard est beaucoup plus critique que mon oreille. Je ne supporterais pas de voir un mauvais film, enfin un film que je considère mauvais, même pour passer le temps, même pour rigoler entre potes. Un film, c’est trop important, un univers dans lequel j’accepte d’être happé, une autre vie qu’il m’est donné de vivre. Sans surprise, la géographie joue un rôle important dans mes choix. Même si la critique dans Le Monde n’est pas excellente, il y a de fortes chances pour que je me laisse tenter par un film tourné dans le Vercors, par exemple.
Tu connais le Vercors, Philippe ? Ça te dit qu’on y ouvre une succursale de notre salon de thé littéraire montpelliérain ?
Eh bien, voilà ! Le lieu idéal pour notre café-librairie ! Je ne connais pas, non, mais c’est un lieu qui me fait rêver, évidemment. Y faire du saut à l’élastique, tout ça… Mais, dis-moi, si le cinéma tient une si grande place dans ta vie, n’as-tu pas été tenté par lui, plutôt que par l’écriture ?
Je te le disais, je suis un rêveur. Assez littéralement, voire pathologiquement, comme le Walter Mitty de la nouvelle de James Thurber.
La musique m’aide à rêver, c’est mon carburant. Dès que j’en écoute avec un tant soit peu d’attention, chez moi, à un concert ou au supermarché, les images surgissent… Mais l’art qui, en tant que tel, se rapproche le plus du rêve, c’est évidemment le cinéma. D’où l’énorme attirance qu’il a toujours exercée sur moi. Et ma grande déception le jour où mon père m’a ramené une caméra empruntée à son boulot. Il n’y a pas eu d’étincelle entre cette machine et moi, sans doute parce que je suis trop maladroit, trop peu bricoleur, trop purement rêveur.
Quand je suis parti à Los Angeles à dix-huit ans, c’était donc dans l’idée de devenir acteur ou scénariste. Mais, vu que j’ai rapidement commencé à perdre mes cheveux et qu’il y avait déjà Bruce Willis sur ce créneau peu porteur, je me suis concentré sur l’écriture de scénario. Mes débuts étaient plutôt encourageants, mais soudain je me suis retrouvé bloqué. Panne sèche d’inspiration. Peut-être parce qu’on me demandait d’écrire un produit trop formaté… Quoi qu’il en soit, j’ai décidé de me concentrer sur la littérature.
Je t’ai interrogé sur la musique, le cinéma, la littérature… Es-tu aussi un lecteur de comics ?
Parmi mes premières émotions « made in USA », il y a en effet les comics (je n’ai d’ailleurs quasiment jamais lu de mangas ni de BD franco-belge). D’abord les Marvel que l’on trouvait dans les revues Strange ou Titan, puis les DC Comics quand j’ai succombé — là encore bien plus fort que tous mes petits camarades — à la folie qui a accompagné la sortie du Batman de Tim Burton. La preuve s’il en fallait que l’Amérique était the place to be : c’est là que les super-héros avaient élu domicile ! Qui imaginerait qu’un type s’emmerde à faire le voyage depuis Krypton pour se retrouver à voler au-dessus du Marais ? Ça ferait un bide, les lecteurs français n’y croiraient pas une seule seconde.
Ah, mais il y a Superdupont !
Très juste, Superdupont, mais c’est une parodie, non ? Les Américains, eux, hésitent moins à fantasmer leur propre pays. Parfois de manière dangereuse, certes.
J’avais cessé de lire des comics à l’adolescence, mais récemment je m’y suis remis un peu, séduit par les couvertures des albums Urban Comics, la maison qui traduit les DC. Cette esthétique me touche toujours beaucoup. L’univers de Batman, et surtout de la femme fatale Catwoman, est éminemment « noir », non ? Et puis il y a quelque chose dans la grâce puissante des corps, des mouvements… Quand Catwoman fend le ciel de Gotham, c’est comme lorsque Michael Jackson danse : j’ai l’impression d’éprouver la quintessence de l’Amérique, mon Amérique en tout cas.
As-tu toi aussi une image, un son, un concept, quelque chose qui représenterait la quintessence de ton Amérique, Philippe ?
Spontanément, je dirai aujourd’hui Springsteen et Dylan pour la musique, David Lynch pour le cinéma.
Mais quand je me sens nostalgique, j’élabore des playlists de ce que j’écoutais là-bas en 84-85. De la power pop : les Plimsouls ou les Go-go’s, et du punk US, façon Dead Kennedys ou Black Flagg (que j’ai vu en concert à Topeka, incroyable, non ?).
Côté cinéma, j’ai un peu honte de le dire, les films qui m’ont marqué à 17 ans, ce sont ceux John Hughes : The Breakfast Club, Ferris Bueller's Day Off, par exemple. Ou encore Pretty in Pink, National Lampoon’s Vacation ou Animal House. Plus avouable : Repo Man, Risky Business, les Blues Brothers. Cela dit je n’en ai revu aucun depuis, alors…
Pour finir, j’ai une dernière question pour toi, Simon. Quand je t’ai proposé de prendre une photo de ton bureau, comme c’est un peu la coutume ici, tu m’as écrit : « Jamais tu ne publieras la moindre photo du mien, une cellule de prison à peine décorée par quelques posters de thrillers plus ou moins érotiques, la honte de notre appartement… C’est d’ailleurs un sujet intéressant, quoique triste en ce qui me concerne. » Tu imagines bien que cela donne envie d’en savoir plus !
Oh là là ! Je t’ai écrit ça ? Ma femme va encore dire que je suis un « drama king ». Reste qu’investir un espace, c’est très compliqué pour moi. Je peux fixer au mur une affiche de film susceptible de m’inspirer dans mon travail, ou une carte en relief d’une de mes régions préférées, mais je ne sais pas « décorer ». Ni même meubler de manière pratique sinon esthétique. Voilà autre chose qui désole ma femme, d’autant que je m’autorise à porter un regard très critique sur la déco des autres ! Elle ne peut pas changer une ampoule dans notre salon sans que j’y trouve quelque chose à redire.
Mais pour mon « antre », je fais un blocage. Je crois que je n’aime pas avoir l’impression de m’installer durablement quelque part. Ça touche à quelque chose de douloureux, lié à la peur de la mort, au passage du temps, à des traumatismes de l’enfance, je ne sais pas… Grâce à une de tes précédentes newsletters, j’ai pu découvrir une photo de ton bureau, ta « man-cave » comme tu dis. J’aimerais beaucoup travailler dans un environnement comme ça, à la fois chaleureux, rock’n’roll et super-héroïque. Si jamais tu le mets en location pendant tes vacances…
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Rien que du bruit : la revue de presse
Avant cette infolettre, Rien que du bruit était le petit nom de mon site web. Je l’avais choisi un peu par dérision, et parce que je ne savais trop ce que j’allais en faire. Je l’ai repris ici, pour les mêmes raisons, et j’avoue que ça m’amuse toujours.
Un nom qui claque bien plus, c’est celui du site et de la newsletter de Claire Sohem : Du cœur à l’ouvrage.
Et j’aime ce qu’elle propose : “Ici, j’écris. Je veux écrire… Pour parler du courage de faire ce qui nous tient à cœur… Pour dire aussi les jours plus rêches, les peurs, les doutes, le sinueux.”
De la motivation, donc, et c’est peu dire qu’on en a besoin. Je vous recommande ainsi cet entretien avec Amélie Charcosset, autrice et animatrice d’ateliers d’écriture. Et bravo pour la mise en son du podcast !
Je suis très peu présent sur les réseaux sociaux. J’y suis revenu au moment de la sortie de Motel Valparaiso, il y a un peu plus d’un an, mais je n’y trouve décidément plus mon compte. Au contraire, les quelques fois où j’y passe, j’en sors… déprimé, mal à l’aise. Un article de Kelsey McKinney, L’internet n’est pas censé être si petit (en anglais) pointe très justement sur ce qui me désole dans cette histoire : “Il convient de rappeler que l’internet n’était pas censé être ainsi. Il n’était pas censé être composé de six hommes ennuyeux ayant trop d’argent et créant des espaces que personne n’aime, mais que tout le monde est obligé d’utiliser parce que ces hommes ont réduit à néant toutes les autres formes d’existence en ligne. L’internet était censé avoir des poches, des forêts enchanteresses sur lesquelles on pouvait tomber par hasard et des ravins sombres dans lesquels il valait mieux ne pas s’aventurer.”
J’ai découvert l’article qui précède grâce à l’indispensable newsletter de Patrick Tanguay, Sentier, à laquelle je vous recommande de vous abonner si par exemple vous vous intéressez à la technologie, la société, la culture et les futurs possibles.
Les beaux jours sont là ! Tâchons d’en profiter pleinement ! Rendez-vous… en juin ! Mais oui, déjà !